Vous connaissez tous la logique de Koãn !
Si, si je vous assure.
Cette question vous vous l’êtes forcément posée un jour. Qui vient en premier : l’œuf ou la poule ?
À cette question, il n’existe pas de réponse idéale et la réponse à satisfaire est ce que l’on appelle une réponse en forme de kōan, soit un « piège » dit zen ou énigme irrationnelle bouddhique (Sénécal, 2008). L’aspect paradoxal de la réponse tend à abuser la question dans sa logique intellectuelle et à mettre en exergue les oppositions insolubles.
Mais enfin, pourquoi aborder le sujet du développement durable et de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) sous la forme d’un paradoxe cosmogonique (Minnema, 2002) ? Pour la simple et bonne raison, que ces deux concepts : se confondent, s’intriquent l’un et l’autre. Ils sont flous et ambigus.
Si l’on aime jouer les Indiana Jones et rechercher dans les tréfonds du développement durable, il en ressort un mot-valise qui sonne à l’oreille du profane comme le moyen de protéger l’environnement et par extension l’Homme, mais ce concept a connu moult évolutions. Le développement durable (sustainable development) est défini comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », cette définition, quoique sommaire, nait dans le rapport Brundtland de 1987. Ce rapport à lui seul va poser les fondations pour une meilleure compréhension du concept de durabilité, il mettra l’accent sur le besoin de déployer des stratégies permettant d’associer développement et environnement. La conclusion aux difficultés environnementales émane du constat dichotomique des modes de production et de consommation de pays de l’hémisphère Nord face à l’accroissement de la pauvreté des pays de l’hémisphère Sud. Si ce rapport a permis de rendre public et au grand jour, les risques environnementaux de notre XXe siècle, il n’en est pas moins le premier à en parler.
Le DD n’a pas vu son apparition dans un milieu académique (contrairement à la RSE), mais au contraire à travers une prise de conscience, puisqu’il s’enracine (Vivien, 2003) dans des conceptions environnementales et écologiques et cela depuis le début du XXIe. Mais les années 60’s marqueront le tournant définitif pour la prise en considération de ces valeurs. Les ONGs ont joué un rôle corollaire dans l’histoire du développement durable (Aubertin et Vivien, 2003). Bien avant les Nations Unies et l’organisation des divers sommets de la terre qui foisonnent depuis 1992, l’UICN[1] fondée en 1948 à Fontainebleau mettait en avant la nécessité de protéger les espaces et habitats naturels ainsi que l’attribution d’un statut de conservation des espèces protégées (le but étant de protéger le risque d’extinction d’une ou plusieurs espèces à un instant donné). Par la suite, l’avènement de la WWF en 1961 vint renforcer la protection de l’environnement. La conscience de l’Homme envers son habitat a certes vu le jour aux États-Unis d’Amérique avec la protection des premiers parcs nationaux, mais nous constatons que l’essor s’est considérablement accéléré au cours des années 70 et lors de l’avènement de grandes crises énergétiques et écologiques, conduisant la création d’ONG. Au cours des décennies suivantes, la définition du développement durable va se dessiner et s’affiner autour de trois textes fondamentaux. Ces derniers, lui transmettront ses lettres de noblesse et permettront d’inscrire dans la durée ce concept : Stratégie mondiale de la conservation de la nature (1980), le rapport Brundtland « Our common future » (1987) et Caring for the Earth : a strategy for sustainable living (1991).
La définition usuelle autour de la notion du DD se base sur trois piliers fondateurs (économique, social et environnemental), retranscrits au travers de ces rapports et dont l’émergence fut tacite lors du Sommet de la terre de Rio (1992) : un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.
Mais la RSE dans tout cela ? La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) ou Corporate Social Responsability (CSR) associe en une simple expression, trois mots forts de sens. Cette dernière a vu son émergence lors de travaux académiques étasuniens au début des années 50, notamment avec les travaux de Abrahams (1951) et de Bowen (1953) qui poseront les bases du « social responsability ». Diverses théories (parties prenantes, management par les ressources, l’agence, contingence structurelle…) sont venues alimenter les réflexions des académiciens sur la notion séminale de RSE et de son altérité selon les courants théoriques. Bien évidemment, il serait prématuré d’arguer qu’avant 1950, la notion de « social business » ou « social responsability » n’existait pas dans les organisations ou entreprises. Les pratiques responsables existaient sous divers aspects peu ou prou définis, voire même sous l’apparence « d’un mélange de bonnes intentions de la part d’hommes d’affaires [qui] produisirent des résultats qui furent pour le moins confus » (Heald, 1961 ; 1970). Les révolutions industrielles (Blanqui, 1837 ; Toynbee, 1908) du XIXe siècle auront conduit un milieu agraire et artisanal à évoluer vers une société industrialisée et de commerces. Les entreprises antérieures à 1920 étaient principalement familiales et dans les mains de propriétaire, le « paternalisme » propre à ce type d’organisation prônait déjà un attachement et une protection sociale entre employeurs et employés. Conduisant de facto, la question de la « continuité » et la filiation du paternalisme avec la RSE (Hommel, 2006). La montée au cours du XXe siècle de grandes entreprises en actionnariat (Heald, 1970 ; Epstein, 2002), apportera un changement dans la figure du dirigeant, passant de « dirigeants familiaux » se substituant à « des juristes et ingénieurs formés dans les nouvelles Business Schools américaines » (Acquier et al., 2007) ce qui conduira à transcender l’image et le rôle du dirigeant en tant que lien entre l’entreprise et la société.
Notre société actuelle a su porter aux nues le développement durable comme l’enjeu majeur de la continuité de notre société, mais sa conception et définition n’en reste pas moins jeune (1980-1987). En revanche, la RSE parfois comprise comme la réponse des entreprises au développement durable tire davantage ses fondations d’une réflexion d’après-guerre (1950-1983) et sur le rôle du manager dirigeant et de sa responsabilité envers la société.
Alors qui vient en premier ? L’œuf ou la poule ?
[1] Ex UIPN, Union internationale pour la protection de la nature (1948) et rebaptisé en 1956 UICN).
Sources :
Abrams, F. W. 1951. Management’s responsibilities in a complex world. Harvard Business Review, 29(3): 29-34.
ACQUIER, A., & GOND, J. P.(2007). Aux sources de la responsabilité sociale de l’entreprise : à la (re) découverte d’un ouvrage fondateur, Social Responsibilities of the Businessman d’Howard Bowen. Finance contrôle stratégie, 10(2), 5-35.
AUBERTIN, C., & VIVIEN, F. D. (2006). Le développement durable. Enjeux politiques, économiques et.
BLANQUI, A. J. (1837). Histoire de l’économie politique, depuis les anciens jusqu’à nos jours.
BOWEN, H. R., & JOHNSON, F. E. (1953). Social responsibility of the businessman. Harper.
EPSTEIN E. M., “The Field of Business Ethics in the United States: Past, Present and Future”, Journal of General Management, vol. 28, n° 2, 2002, p. 1-29.
HEALD M., “Business Thought in the Twenties: Social Responsibility”, American Quarterly, vol. 13, n° 2, 1961, p. 126-139.
HEALD M., The Social Responsibilities of Business: Company and Community, 1900-1960, Cleveland, Case Western Reserve University Press, 1970.
HOMMEL, T. (2006). Paternalisme et RSE : continuités et discontinuités de deux modes d’organisation industrielle. Entreprises et histoire, 45, 20-38.
MINNEMA, L. (2002). The paradox of Koan. Contemporary Buddhism, 3(1), 21-29.
SENECAL, B. (2008). Vers une pratique des kōans bibliques. Recherches de Science Religieuse, 96(3), 369-379.
TOYNBEE, A., & MILNER, A. M. (1908). Lectures on the industrial revolution of the eighteenth century in England.
VIVIEN, F. (2003). Jalons pour une histoire de la notion de développement durable. Mondes en développement, no<(sup> 121), 1-21.
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