Une supply chain durable au crédit de la RSE

Mercredi 9 :34 – Eternelle machine à café. Deux collègues refont le monde industriel.

Jean-René : sirotant son café chaud. Pff je dois me démener à conduire mes fournisseurs vers des objectifs durables. Je ne pige pas le sujet, je ne sais même pas ce que l’on attend de moi, alors l’expliquer à mes fournisseurs. (blasé) Comme si l’on avait un poids auprès de nos fournisseurs pour leur dire quoi faire dans leur chaîne.

Yosanna : Si tu veux comprendre le sujet, tu pourrais commencer par regarder l’update du rapport Meadows et de l’évolution de nos modes de production et de consommation. Ainsi que les ODD adoptés en 2015 par les Nations Unies.

Jean-René : Le quoi ?

Yosanna : Le rapport Meadows, tu sais le fameux rapport commandité par le club de Rome en 1972. Il mettait en lumière les risques écologiques et humains d’une croissance industrielle et économique soutenue. Il a été updaté courant 2012.

Jean-René : Jamais entendu parler. Quand tu dis le club de Rome ça n’a rien à voir avec le foot.

Yosanna : (Dépitée) Non Jean-René, ça n’a rien à voir. Mais attends je te trouve un article qui évoque ce sujet dans le cas de nos problèmes de supply chain durable.


Plusieurs angles de travail peuvent être lus pour interpréter la SSC (sustainable supply chain). La notion de durabilité dans une supply chain peut avoir diverses sources et raisons. Dès 1971, Jay Forrester, nommé comme le précurseur de la logistique moderne, préfigure la SSC par la théorie des systèmes, puisqu’il mettait en évidence les phénomènes d’interaction complexe qui animent les organisations.

Il sema les graines d’une SSC notamment au travers de ses travaux avec le Club de Rome (1970) qui conduira notamment au fameux rapport Meadows de 1972. Deux décennies avant, la définition du développement durable, la question de la gestion des ressources et des dommages environnementaux mettait en lumière qu’un équilibre mondial devait passer par un positionnement « sociétal ».

Fondement d’une supply chain durable

Une SSC s’inscrit volontairement et indubitablement dans les trois dimensions intrinsèques du DD : économique, environnemental et social. La chaîne d’approvisionnement prend en compte ces trois piliers afin de piloter idéalement ses « flux financiers, d’informations et de matériels au profit des exigences de ses clients parties prenantes ». Parallèlement à cela, les travaux de Zhu et Sarkis (2005 ; 2007) évoquent la confrontation des supply chain durables face à diverses contraintes et trois types d’incitations (ci-après). Ces diverses pressions ou incitations mettent l’accent sur l’adhésion de pratiques responsables tout au long de la chaîne de valeur au profit d’avantages concurrentiels :

  • Les incitations réglementaires ou coercitives qui poussent les entreprises et organisations au sein de leur SC à intégrer les notions environnementales et sociétales (exemple loi de vigilance).
  • Les incitations d’autres acteurs de la SC ou normatives qui engagent les entreprises et organisations à contrôler et évaluer leurs fournisseurs de rang 1 et n. Ces pratiques verront naître divers outils (code de conduite, audit SMETA, cartographie des fournisseurs…) et normes (ISO 26000, ISO 20400…) qui viendront réguler les questions relatives à la supply chain amont.
  • Enfin, les incitations provenant du marché ou mimétisme concurrentiel qui au travers des clients et des concurrents peuvent pousser les SC à réagir afin de proposer des produits répondant à des exigences environnementales et sociétales du secteur.

L’intégration de ces pressions ou incitations et de leurs natures gouvernementales, consommateur ou parties prenantes (Seuring et Müller, 2008) permettent aux SC d’orienter leurs stratégies durables sur deux axes majeurs : (1) la gestion des fournisseurs dans la diminution des risques (dans la chaîne d’approvisionnement) et l’évaluation de la performance ; (2) la réalisation de produits durables notamment au travers d’analyse du cycle de vie des produits développés.

Les fournisseurs : le nerf de la guerre d’une supply chain durable ?

Les fournisseurs, en tant que pourvoyeurs directs ou indirects à la supply chain amont, jouent un rôle prépondérant dans les risques sociaux et environnementaux pour l’entreprise. Mais est-ce que l’entreprise maitrise-t-elle, réellement, le premier maillon de sa chaîne ? Est-ce l’entreprise qui contraint ses fournisseurs ? Nous pouvons arguer, sans difficulté, que l’une des principales parties prenantes du marché qui contraint (le plus) la supply chain est, le client. Le client fait partie de la chaîne logistique, mais il empreint cette chaîne de valeur d’exigences et d’attentes allant bien au-delà du simple produit vendu, mais également sur la qualité et les services ad hoc (Christopher, 2010). Si l’on se place de ce point de vue, il est naturel d’imaginer que « cette perspective voit le consommateur non pas à la fin de la chaîne d’approvisionnement, mais à son début » le plaçant de facto comme premier maillon de la chaîne ; ce qui change considérablement la donne en matière d’actions sur la supply chain amont, car celle-ci est dans ce cas pilotée par le marché. Les stratégies opérationnelles des concurrents à l’entreprise voient l’émergence d’enjeux qui se jouent exclusivement entre supply chain et non plus entre entreprises (Christopher, 1992). Mais alors, si la SSCM ne répond qu’à des incitations quel est son rôle et implication dans des démarches responsables ? Pour Hervani et Sarkis (2005), le management d’une supply chain durable est l’addition de plusieurs facteurs durables, tels que : (1) des achats et approvisionnements durables ; (2) une gestion durable des matières premières ainsi que d’une production maitrisée des énergies et déchets (rebuts, gaspillage, surconsommation) ; (3) une distribution et marketing durable ; (4) une logistique inverse.

Cette définition nous permet d’identifier que la clé d’une supply chain durable repose sur la maitrise amont de cette dernière et par extension la gestion des fournisseurs. Le nerf de la guerre d’une supply chain durable passerait donc par la maitrise, le contrôle et la performance de ses fournisseurs. En ce sens, les travaux d’Ageron et al., (2012) nous permettent d’entrevoir que l’un des points majeurs d’une SSCM est la « caractérisation des fournisseurs ». Par ce terme, les auteurs mettent en évidence que les décisions stratégiques de déploiement de démarches ou actions responsables au sein de leur réseau peuvent varier. Selon une cartographie étendue de la supply chain amont, à savoir l’origine géographique du fournisseur, la taille de ce dernier et son intégration locale ou globale. Cependant, leurs travaux démontrent que ce type de déploiement requiert un fort investissement financier et de temps pour accompagner les fournisseurs : conduisant de ce fait à privilégier les déploiements sur des fournisseurs stratégiques ou des partenariats durables de long terme. Le risque étant d’observer deux poids — deux mesures dans la diffusion de démarches responsables au sein de sa supply chain amont, risquant au passage de créer des disparités et des pressions différentes dans les pratiques durables entre les fournisseurs d’une même chaîne (Hoffman, 2001 ; Delmas et Toffel, 2004).

Toutefois une supply chain durable ne peut aboutir positivement sans des compétences majeures, évoquées par Gold et al., (2009). Le déploiement d’un approvisionnement (ou achat) responsable ne peut se réaliser que lorsque ces 5 critères sont réunis : (1) le travail d’équipe interfonctionnel, guidé par un ou n objectifs de déploiement durable (2) une collaboration étroite avec les fournisseurs, qui passent par exemple, par une construction conjointe et bilatérale de démarches responsables tout au long de la chaîne ; (3) une compréhension des problèmes environnementaux parmi les personnes des achats : ceci passe par une formation régulière des collaborateurs aux normes et obligations dans leur supply chain ; (4) compétences techniques du personnel d’achat par la mise en application d’outils et  méthodologie adaptés aux démarches responsables ; et (5) des politiques et procédures d’achat complètes.

Partenariat durable et pérenne, fournisseurs stratégiques, achats durables… Serait-ce là la clé de voute de démarches responsables ? Comment les achats, niche stratégique d’une supply chain amont, s’intègrent-ils dans ces notions de durabilité ?

To be continued


Mercredi 11 : 27 — même place, même joueur

Yosanna : Alors Jean-René, tu y vois plus clair ?

Jean-René : Ce que je comprends c’est que je vais devoir me former. Ensuite, que sans un accompagnement des fournisseurs vers une supply chain durable cohérente, on n’est pas sortis de la « berge ».

Yosanna : « de la berge » ? … Hummmm encore un petit effort c’est presque cela

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AGERON et al., (2012), Sustainable supply management: An empirical study

Christopher, M. (2010). Logistics and supply chain management. Pearson Business.

Christopher, Martin L. (1992), Logistics and Supply Chain Management. London: Pitman Publishing.

Delmas, M., & Toffel, M. W. (2004). Stakeholders and environmental management practices: an institutional framework. Business strategy and the Environment, 13(4), 209–222.

Forrester, J. W. (1971). World dynamics. Wright-Allen Press.

HERVANI, A. A., HELMS, M. M., & SARKIS, J. (2005). Performance measurement for green supply chain management. Benchmarking: An international journal.

Hoffman, A. J. (2001). Linking organizational and field-level analyses: The diffusion of corporate environmental practice. Organization & environment, 14(2), 133–156.

SEURING, S., & MÜLLER, M. (2008). Core issues in sustainable supply chain management—a Delphi study. Business strategy and the environment, 17(8), 455–466.

ZHU, Q., SARKIS, J., & GENG, Y. (2005). Green supply chain management in China: pressures, practices and performance. International Journal of Operations & Production Management.

ZHU, Q., SARKIS, J., & LAI, K. H. (2007). Green supply chain management: pressures, practices and performance within the Chinese automobile industry. Journal of cleaner production, 15 (11–12), 1041–1052.

Dr. Céline Cheval-Calvel

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